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Posted: Jan 25, 2023 @ 6:54pm
Updated: May 5 @ 3:24pm

"Batman: Arkham Knight" est le plus ambitieux jeu Arkham de Rocksteady, avec un spectacle digne d'un film et un énorme contenu concrétisant enfin le fantasme de monde ouvert promis depuis "Batman: Arkham Asylum", mais c'est aussi l'opus le plus bancal de la trilogie. En fait, "Batman: Arkham Knight" a le problème inverse de son prédécesseur "Batman: Arkham City", qui avait une excellente quête principale mais un monde ouvert peu intéressant qui polluait l'action avec du gras inutile: ici, on a au contraire un monde ouvert prenant et très amusant, mais une histoire médiocre tant sur le plan de l'univers que du gameplay.

Commençons par ce qui marche: "Batman: Arkham Knight" est magnifique, avec une Gotham gigantesque excellemment réalisée, artistiquement plus réaliste et moins expressionniste que dans les jeux précédents (et donc moins "comic book"), mais qui dégage cependant beaucoup de personnalité, avec des quartiers affichant chacun une identité marquée. Les déplacements (utiliser le grappin, le platforming, planer, rouler en Batmobile), les combats, l'infiltration, les poursuites en Batmobile, les affrontements urbains avec la Batmobile changée en tank, tout a été (re)pensé pour que l'on puisse basculer de façon instantanée et fluide de l'un à l'autre - on y perd en rigueur dans les combats et dans l'infiltration (qui permet désormais d'éliminer à la suite jusqu'à cinq ennemis sous certaines conditions), mais on y gagne en instantanéité et en naturel, ce qui est important dans un monde ouvert.

Le monde ouvert, parlons-en: "Batman: Arkham Asylum" était une histoire linéaire qui nous permettait de faire demi-tour pour collecter des trophées, "Batman: Arkham City" était une histoire linéaire avec un "overworld" à la Zelda qui essayait de faire croire à un monde ouvert grâce à des quêtes annexes laborieuses et dispensables, alors qu'ici on a un vrai monde ouvert totalement libre et incroyablement dense, où il y a énormément de choses à faire et où les missions sont étonnamment variées. On s'engagera ainsi souvent dans une mission pour en croiser trois autres en cours de route (si ce n'est plus), et on passera à l'instinct d'un objectif à un autre selon ses envies ou selon l'urgence, c'est très immersif et agréable, on a vraiment l'impression d'être le Chevalier Noir lors d'une nuit particulièrement mouvementée. Le jeu est étonnamment axé sur son gameplay, l'action est au service de l'immersion alors que c'était l'inverse dans les deux jeux précédents, toutes les situations que Batman doit habituellement résoudre sont exploitées: cambriolage de banque, émeute urbaine, personne à secourir d'un lynchage, interception d'un ennemi volant, scène de meurtre à analyser, véhicule à filer en courant sur les toits ou en planant dans les airs, drone patrouilleur à neutraliser, détection et libération de personne séquestrée, poursuite en voiture d'un personnage volant, énigme du Riddler à résoudre, libération de bâtiment investi par des forces armées, etc. - la quantité, la variété et surtout la qualité des tâches à effectuer est fantastique.

Beaucoup de gens se sont plaints de la Batmobile, mais c'est une excellente addition, même si on peut comprendre l'agacement de certains joueurs: c'est en réalité l'histoire principale qui pose problème en imposant beaucoup de manipulations laborieuses avec la Batmobile, et qui surexploite les confrontations contre les tanks. Et à ce sujet...

L'histoire de "Batman: Arkham Knight" est un désastre. Elle comporte cinq axes: la menace de l'Épouvantail, l'arrivée du Arkham Knight, les relations avec les proches de Batman, le fantôme du Joker, et le thème de la fin de Batman (l'histoire se pense comme un point final, à la façon de "The Dark Knight Rises"). Tout est consternant.

L'Épouvantail, censé être ici l'ennemi principal, est insignifiant: il apparaît peu et monologue comme un méchant de James Bond caricatural, sa personnalité était mieux explorée dans les fichiers audio bonus de "Batman: Arkham Asylum". Son plan n'a aucun sens: dans le premier jeu, il avait failli contaminer Gotham avec sa toxine simplement en jetant un petit sac dans un cours d'eau, alors qu'ici il prévient qu'il va le faire mais sans demander de rançon, la ville est donc évacuée, puis il l'envahit avec des centaines de militaires et de tanks (d'où ils viennent, comment c'est financé, quelle est la motivation de tous ces gens puisqu'il n'y a aucun gain à l'opération, mystère)! Dans la scène d'introduction qui fait office de tutoriel, on découvre que l'Épouvantail utilise l'usine ACE Chemicals abandonnée afin d'y produire assez de gaz pour contaminer toute la côte Est des USA, mais c'est immédiatement contrecarré par Batman... pourtant, la milice reste, et l'Épouvantail continue de vouloir intoxiquer Gotham même si elle est uniquement peuplée de criminels qui lui sont alliés! On a du mal à comprendre.

Le Arkham Knight ne s'en sort pas mieux. Le personnage repose tout entier sur la révélation de son identité mais elle arrive tardivement, et comme son existence n'a pas été établie dans la continuité de la trilogie, le jeu l'introduit d'abord par flashback, ce qui désamorce la surprise. Il est tête à claques jusqu'à l'insupportable, passant son temps à pleurnicher sur son sort alors qu'il collabore au projet de faire sombrer des millions de gens dans la folie, on n'a donc aucune compassion pour lui et on le croit incapable de diriger ou former une armée.

Les proches de Batman sont écrits comme le Arkham Knight: ça se plaint, ça accable Batman de reproches injustifiés, ça se fait enlever, ça trahit, ça meurt, finalement ça n'est pas mort... c'est de l'écriture de mauvais soap opera, et on se demande pourquoi Batman s'impose de tels boulets. Seul Alfred sauve la mise.

Pour enfoncer le clou du pathos, le Joker revient sous forme de contamination mentale qui infecte quelques personnes (c'est idiot mais donne lieu à une parenthèse avec Harley Quinn plutôt divertissante), dont Batman qui voit le Joker en hallucination tout du long de l'histoire à essayer de le culpabiliser de l'avoir tué. C'est absurde: le Joker s'est condamné tout seul, et dans les comics, Batman veut la mort du Joker, il culpabilise de ne pas le tuer, Frank Miller le montre très bien dans "The Dark Knight Returns". C'est donc un contresens, tombant d'autant plus à plat que les dialogues du Joker sont fades et interprétés par un Mark Hamill en pilotage automatique qui avait déjà annoncé qu'il ne voulait plus du rôle, et qui a dû être démotivé par l'absence de Paul Dini dans le projet (ça se sent).

Enfin, pour parachever les problèmes de l'intrigue, il y a le départ de Batman, qui lui aussi sort de nulle part. Tout le jeu montre Batman comme un surhomme alors que ses alliés sont au mieux inutiles et au pire nocifs, la criminalité ne semble pas se calmer, aucun problème de la ville ne semble causé par sa présence, et la situation finale n'exige pas qu'il abandonne son rôle: c'est donc incompréhensible, et en tant que joueur, on n'achète pas un jeu Batman pour qu'on nous dise que Batman doit raccrocher, on joue à un jeu Batman parce qu'on aime ce héros et son univers, on ne veut pas être seriné avec de faux scrupules.

Je recommande "Batman: Arkham Knight" parce que je me suis énormément amusé avec son monde ouvert et ses défis bonus, mais l'échec de la narration nuit aussi au gameplay: l'histoire principale est criblée de longues séquences linéaires et bavardes rigides comme des QTE, le choix de mettre des militaires partout (!) dénature l'univers, et toutes les intrigues secondaires sont expédiées alors que les missions associées sont de loin les plus plaisantes à jouer, seul le Riddler parvient à garder une présence et une écriture satisfaisantes.

Dommage.

(liste de toutes mes évaluations sur mon blog[simbabbad.blogspot.com])
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