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Posted: Sep 8, 2022 @ 1:47pm
Updated: Oct 31, 2022 @ 11:41am

Une démonstration phénoménale

Contrairement à ce que prétend la légende, les jeux de FromSoftware ne sont pas durs, c'est juste un coup marketing. La preuve, prenez le premier épisode de Dark Souls : sur YouTube, on peut trouver la vidéo d'une fille qui le termine en utilisant, à la place d'une manette traditionnelle, un tapis réservé aux jeux de danse. Comme quoi, il suffit parfois d'un peu de volonté. Un peu de volonté, et un tapis de danse, évidemment...

A l'inverse des autres titres de FromSoftware, Sekiro est difficile. Les Dark Souls et Bloodborne ne sont pas difficiles. Ils sont rudes, c'est différent, et il y a une sorte de malentendu au sujet de leur difficulté. Dans Dark Souls, dès le début de l'aventure, tout est fait pour que le joueur se sente en danger : les ennemis occasionnent une quantité de dégâts astronomique, il y a des pièges mortels partout et, à chaque mort, l'expérience accumulée par le personnage est perdue, à moins de revenir à l'endroit exact de son décès. Pourtant au fil des heures, le jeu se révèle moins impitoyable qu'il n'y paraît : la possibilité de tout perdre en mourant à nouveau rend beaucoup plus prudent et le joueur ne retombe pas dans les mêmes pièges. Dark Souls remplit son but : maintenant, le joueur file droit, regarde bien à gauche et à droite avant de franchir une porte et comprend qu'il va devoir être très attentif aux innombrables dangers de ce monde étrange. L'expérience induite par le gameplay complète celle de l'univers du jeu : ici, tout est sombre, triste, et la mort rôde à chaque carrefour. Dans Sekiro, les choses sont un peu différentes. Quand le personnage meurt, ce qui arrive très souvent, il perd la moitié de son argent et une petite partie de son expérience. Cette perte, contrairement à celle de Dark Souls, est définitive. Comme dans Dark Souls, en revanche, elle sert le propos du jeu : jouer au shinobi n'est pas un loisir du dimanche, c'est une démarche spirituelle et exigeante, pour laquelle on forge son esprit et son âme autant que son corps, par la répétition des mêmes gestes.

L'autre différence entre la difficulté de Dark Souls et celle de Sekiro, c'est que l'aspect jeu de rôle du titre est relégué au second plan. Certes, on y glane quelques points d'expérience, mais rien qui ne ressemble à des statistiques ou à des niveaux : les points servent juste à acheter de nouvelles techniques qui ne faciliteront pas tant que ça les combats - au mieux, ils ajouteront quelques options pour mourir un peu moins vite, ou d'une façon plus originale. Là où Dark Souls proposait toujours, devant un boss trop dur, de repasser plus tard, après avoir fait évoluer son personnage, Sekiro vous projette sur un mur jusqu'à ce que votre tête finisse par faire un trou par lequel commence à poindre une lueur d'espoir. N'espérez pas non plus faire appel à un inconnu pour venir vous prêter main-forte, l'aspect multijoueur du titre étant totalement absent. En définitive, rapidement, il ne reste plus que vous, face à une solution : devenir meilleur. Telle est la voie du guerrier, l'expérience que FromSoftware a voulu vous faire vivre. Votre aptitude à en profiter dépendra de votre endurance face à l'échec et de votre volonté de toujours recommencer, malgré la rudesse de certaines humiliations.

Pour autant, résumer Sekiro à un jeu dur serait bien dommage. Certes, Sekiro est dur, plus dur que les autres titres de FromSoftware mais, une fois de plus, il n'est pas dur par hasard, parce que les développeurs prendraient une sorte de plaisir sadique à voir souffrir le joueur. Dans Sekiro, le joueur souffre et recommence, parce que le personnage éponyme souffre et recommence. FromSoftware fait partie de ces rares studios qui développent des mécaniques qui s'intègrent dans un propos global, afin que tout, dans l'expérience du joueur, aille dans la même direction. Rien n'est jamais gratuit, de la manière dont est raconté le scénario au système de combat, en passant par l'architecture de l'univers, tout concourt à délivrer une expérience cohérente qui raconte quelque chose. Dans Dark Souls, c'était l'épopée d'une carcasse vide dans un monde sombre dépourvu d'espoir, perdu dans une géométrie étrange. Dans Bloodborne, c'était le long cauchemar d'un être trop fragile pour survivre aux abominations de son époque, dans une ville à la fois trop grande et trop étriquée. Dans Sekiro, c'est le devoir toujours renouvelé d'un shinobi préparé à mourir quelques dizaines de milliers de fois pour être fidèle au serment qu'il a prêté, celui de protéger un gamin d'une dizaine d'années. Moins cryptique que ceux des productions précédentes de FromSoftware, le scénario de Sekiro bénéficie, pour une fois, de quelques scènes cinématiques qui rendent les raisons de ce long calvaire plus concrètes. Pour autant, le jeu ne laisse pas de côté la manière de faire du studio, qui aime raconter ses histoires par le biais de ses environnements, de ses objets et de ses PNJ aux murmures incompréhensibles. En termes d'architecture, les environnements s'ouvrent cette fois, afin de permettre à Sekiro de planifier son action, avant de frapper depuis les ombres.

Avec Bloodborne, les combats de Dark Souls avaient gagné en nervosité. Pour éviter que les joueurs ne passent trop de temps en retrait, les développeurs avaient intégré une mécanique de récupération de vie basée sur l'agressivité. Dans Sekiro, la jauge d'endurance est complètement abandonnée pour être remplacée par une barre de posture. Plus vous tapez comme un sourd, et plus votre adversaire est déstabilisé. Si la barre de posture se remplit, un seul coup suffit pour tuer l'ennemi, qu'il s'agisse d'un simple soldat ou d'un boss. La garde se fait de manière très simple, en maintenant une touche appuyée, mais une parade parfaite, au bon moment, permet de faire montrer la barre de posture de l'adversaire tout en préservant la sienne. Le résultat, de loin le plus nerveux pour un jeu de FromSoftware, colle parfaitement au propos. Les combats ressemblent à de vrai duels de samouraïs, où les étincelles des sabres qui s'entrechoquent s'arrêtent parfois pendant une ou deux secondes, pour reprendre dans un fracas d'acier où les réflexes jouent un rôle crucial. En apparence basique lors des premiers affrontements, le système devient un peu plus complexe quand les combats se font plus violents : la barre de posture des adversaires les plus coriaces ne se remplit qu'après avoir infligé quelques dégâts. Il faut donc passer par plusieurs phases : une première en retrait, à observer la manière dont l'ennemi bouge, puis les premiers coups, timides, pour faire couler un peu de sang, avant de se lancer corps et âme dans la mêlée pour briser la garde et délivrer un coup fatal. Si les combats de boss sont très difficiles, la satisfaction d'en venir à bout vaut largement l'investissement, et la victoire comme l'échec ne semblent jamais injustes : c'est le fruit d'un long travail pour affûter ses réflexes qui s'effectue progressivement, par la répétition, la concentration et la volonté.

Quittant la dark fantasy à l'européenne des Dark Souls ou l'horreur gothique victorienne de Bloodborne, Sekiro revient dans le pays de ses créateurs et démontre que la dark fantasy japonaise, avec ses monstres bizarres, ses serpents géants, ses fantômes, ses ogres et ses créatures innommables, n'a rien à envier en termes de richesse et de puissance évocatrice, à la tradition européenne. A cela s'ajoute le savoir-faire de FromSoftware, une fois de plus au sommet de son art, qui fait mieux que de vous amener à visiter ce que le folklore japonais propose de plus angoissant : il vous invite à en faire l'expérience, comme seul un jeu vidéo peut le faire.
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