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Soma fait partie de ces jeux qui obsèdent longtemps après l'avoir fini et dont on brûle d'en parler partout autour de soi, quitte à gâcher le plaisir de ceux qui n'y ayant pas (encore) joué. Les œuvres qui sonnent aussi juste sont vraiment rares et il n'y aucune minute, aucun pixel à jeter tout du long de cette expérience aussi fascinante que traumatisante. Je vais faire de mon mieux pour vous convaincre d'y jouer, sans rien révéler d'importance.

Premièrement, je crois ne m'être jamais aussi bien identifié au personnage principal. Il est extrêmement facile de se retrouver en lui car ses réactions, ses émotions et sa compréhension du monde dans lequel il est plongé sont parfaitement saines et normales. Alors qu'on trouve souvent des protagonistes faisant office de déversoirs à exposition de scénario, notre Simon est tout autant perdu que le joueur puisqu'il dispose des mêmes informations que nous, c'est à dire aucune (et cela sans avoir recours au cliché de l'amnésie). Dans l'immense majorité des jeux, on incarne un personnage qui appartient à son propre univers et qui en possède donc un certain niveau de connaissance. Par le biais de l'exposition et de la narration, le joueur "rattrape" plus ou moins ce déficit de connaissances, et l'identification avec le protagoniste dépend (entre autres) du comblement de ce fossé, qui peut arriver plus ou moins tard selon la qualité de l'écriture. Mais dans Soma, le postulat de départ élimine d'emblée ce décalage entre le joueur et le protagoniste, ce qui rend le processus d'identification instantané et donc extrêmement efficace. Je pense que ce point est la force majeure de Soma, et même si cela ne semble pas facile à cerner, le bénéfice en terme d'immersion et d'intensité d'expérience est colossal, et la raison pour laquelle ce jeu est si saisissant.

Dans le prolongement de l'immersion vient l'aspect vidéoludique en lui même, qui dans le cas de Soma, brille par son absence. Je veux parler de ces petites choses qui font qu'un jeu vidéo est un jeu vidéo, et dont la présence rappelle constamment qu'on est dans un jeu vidéo : les barres de vie, les mini-map, les indicateurs de munitions, les menus, les marqueurs de quêtes... en gros toutes les informations que l'on appelle extra-diégétiques, c'est à dire qui ne sont pas intrinsèques au monde du jeu en question.
Ces informations "interfacées" ont le défaut de dégrader l'immersion et tendent à minimiser leur présence, particulièrement dans les grosses productions modernes (Last of Us, Uncharted, Alan Wake...), ou l'on peut y lire la volonté de ressembler autant que possible à un film, médium narratif par excellence. Soma, en 2015, avait déjà compris ce frein à l'immersion et a proposé une expérience sans aucun élément extra-diégétique. Car absolument rien ne s'interpose entre le joueur et le jeu : pas de barre de vie, pas de mini-map, pas de flingue qui se dandine dans le champ de vision. L'immersion est maximale car la suspension d'incrédulité n'est jamais brisée par un pop-up de mise à jour d'objectif, ni par l'irruption d'une cut-scene, ni par un écran de chargement ni même par l'existence d'un menu (il n'y a même pas d'inventaire). Je sais que l'expression "expérience totale" est utilisée à tort et à travers mais je ne crois pas avoir croisé un jeu vidéo qui arrive aussi bien à faire oublier que c'est un jeu vidéo. L'expérience Soma est parfaitement fluide de bout en bout, et c'est une prouesse que peu de titres ont su produire, et que beaucoup n'ont même pas approché.

Et bon Dieu que ça marche. L'horreur, quand elle est bien faite, produit une fascination morbide qui pousse toujours à "voir pire" sans jamais trouver de totale satisfaction à cette curiosité. A ce titre, l'horreur de Soma est un cauchemar existentiel étouffant, d'une densité impénétrable et qui parvient à s'intensifier à chaque chapitre. Tout est dans la mise en scène, dans le timing, et surtout, dans la suggestion. Il y a bien quelques jumpscares, mais ne vous attendez pas à être assailli par des hordes de zombies sanguinolents et interchangeables. En tout il y a moins d'une dizaine d'ennemis à proprement parler, et la plupart sont uniques. Ce nombre très réduit induit que le joueur est seul la plupart du temps (et donc à l'abri du danger), mais toujours à la merci de son imagination, dressée à la paranoïa à force d'être exposée à l'imprévisible. Étonnamment, ou sans surprise, cette économie de moyens et cette emphase sur la mise en scène produit des résultats bien plus saisissants qu'un survival horror classique, dont on identifie la boucle de gameplay aussi rapidement qu'on s'en lasse.

Et puis, il y a l'histoire. La stupéfiante histoire de Soma. Quand on écrit de la science-fiction ou de la fantasy, on crée un monde aussi riche et cohérent que les règles qui le définissent. La pratique montre que les meilleurs univers de fiction sont ceux qui proposent un minimum de règles mais en les exploitant au maximum. Soma fait bien sûr partie de cette catégorie et explore toutes les pistes, toutes les implications que soulèvent sa proposition initiale, et ce pour notre plus grande jubilation. La littérature, bien faite, a le pouvoir de se délecter de tout, même des idées sordides, et à ce titre, Soma est un festin délicieusement dangereux. Pour ne rien gâcher, les développeurs ont eu la suprême politesse, l'infinie délicatesse de proposer un mode "promenade", qui ne supprime pas les ennemis mais les rend inoffensifs. Au delà du fait que je n'aurais certainement pas pu finir le jeu sans cette option, je trouve toujours une grande générosité et une grande humilité aux développeurs qui acceptent de trahir leur vision artistique (et leur travail) pour le confort de quelques joueurs. Sur ce, j'espère vous trouver sur le point de mettre ce jeu formidable dans votre panier, et si ce n'est pas le cas (et surtout si ça l'est), ne vous renseignez en rien sur ce jeu.